Hommage à Harry Flinn et aux soldats qui ont libéré Montblainville
Samedi dernier, 16 février 2019 F.X Flinn et sa famille sont revenus sur les traces d’Harry Flinn, un des soldats américains libérateurs de Montblainville. Accompagnés de Dominique Lacorde, historien local, de Patrice Pérard et de son épouse Monique, ils ont refait le parcours accompli par les hommes du 110ème régiment d’infanterie américaine du 26 au 28 septembre 1918.
Le 26 septembre 1918, la 28e DIUS, quitte Clermont-en-Argonne libère Petit Boureuilles, les ruines de Boureuilles, puis Varennes.
Le matin du 27 septembre, la division a de nouveau avancé entre six heures, et 10h30. Le 110e régiment, en avance par rapport aux autres régiments, a négocié un ravin profond au nord de Varennes et a pris Montblainville. Le régiment n’avait aucune couverture naturelle, mais le brouillard et la pluie l’ont aidé à se protéger de l’observation allemande.
Les pertes ont été sévères, car les Allemands contestaient chaque pouce de sol. Le capitaine Boyle de la compagnie de mitrailleuse a été blessé le premier jour, et dans cette attaque, les lieutenants William Bonsal et Edward Dickey de la compagnie C ont été tués alors qu’ils nettoyaient la ville.
Le 28, la Division entrera dans Apremont.
Harry Flinn était 2e lieutenant, et appartenait à la compagnie A du 110e régiment. Grièvement blessé à Apremont, il écrit à son épouse le 23 novembre 1918 :
« Puis nous sommes arrivés à Montblainville. Nous avons été stoppés là par un feu nourri provenant de 10 nids de mitrailleuses. Je me rendis compte qu’en restant en contrebas, ma compagnie pourrait dépasser les mitrailleuses, monter vers la ville par la droite et que nous serions (peut-être) protégés la plupart du chemin. Je donnais l’ordre d’avancer en disant « suivez-moi » et avec beaucoup de chance, nous sommes arrivés sur la route à l’extrême droite de la ville.
La première chose que je vis fut un cheval blanc qui avait une blessure par balle dans la jambe arrière gauche et qui nous regardait avec des yeux très tristes. Nous nous déplacions avec beaucoup de précautions le long de cette route et arrivés dans les rues nous avons lâché des grenades dans tous les abris etc… Nous avons traversé la ville pour sortir au nord de celle-ci et nous avons été de nouveau stoppés par le feu de mitrailleuses.
Seule ma compagnie avait pu traverser la ville ; les parties centrale et gauche de notre ligne étaient encore bloquées en ville par 3 nids de mitrailleuses. Je suis revenu avec 8 hommes et bien sûr, ce fut facile de nettoyer ces nids car nous arrivions sur eux par l’arrière. Nous avons lâché demi-douzaine de grenades dans chaque nid. Les tirs cessèrent et quelque part ils rejoignirent la guerre en enfer.
J’informais les autres compagnies qu’elles pouvaient venir et nous avons regardé autour de nous sans curiosité et dans un abri nous avons trouvé des cigares, des cigarettes, de la confiture, du pain qui n’était pas mauvais. Nous avons capturé un cuisinier allemand qui préparait le petit déjeuner pour 120 hommes. Ce petit déjeuner, presque prêt, se composait d’une café très allongé (je ne pense pas qu’il s’agissait de vrai café mais il en avait la couleur) Il y avait aussi une sorte de céréales qui ressemblait à un mélange de sciure, de flocons d’avoine et de maïs. Je ne laissais pas mes hommes en manger.
Nous nous sommes mis en mouvement et je choisissais sur la ligne que j’avais formée, un trou d’obus pour abriter le commandement. Nous étions, en gros, à 100 m (100 yards) au nord de Montblainville, les hommes étant positionnés en ligne à intervalles de 10 à 12 m (12 à 15 yards). Nous étions sur le plateau et sur notre droite, il y avait la vallée de l’Aire d’une largeur d’environ 110 m (110 yards) à environ 60m (200 feet) en dessous de nous.
J’étais de retour de notre « nettoyage » des nids de mitrailleuses depuis 3/4 d’heure lorsque l’éclaireur que j’avais envoyé scruter la vallée rapporta qu’un large corps de boches arrivait dans la vallée et venait dans notre direction.
J’allais vérifier et je les vis venir. Je demandais à mon éclaireur de prendre 10 hommes que j’alignais tous les 2 ou 2,5 m sur le haut du plateau, avec des grenades à main. Je leur ordonnais de ne rien lancer avant que je ne leur en donne l’ordre. J’attendais qu’ils nous aient dépassés avant de donner le signal.
Ils furent surpris et effrayés. Ils avaient si peur qu’ils restèrent figés pendant au moins 30 secondes. Pendant ce temps nous les bombardions si rapidement qu’ils ne purent rien faire puis quelques uns tentèrent de se ruer vers leur ligne mais je doute qu’ils aient pu réussir car nous avons utilisé nos fusils et crois-moi ce fut du sport de tirer sur eux, ils étaient une cible de grande taille et se trouvaient très près de nous de sorte qu’il était facile d’atteindre ceux qui fuyaient.
Ceux qui restaient étaient tous agenouillés, avec leurs mains en l’air, poussant des cris en demandant pitié. Nous les avons laissé se rendre. Je pense qu’il n’en restait pas plus de 37. Ce fut un massacre. Leurs yeux sortaient de la tête et ils étaient aussi blancs que la feuille de papier sur laquelle j’écris. Parmi ces prisonniers, il y avait 2 officiers et c’est à l’un deux que j’ai pris une excellente paire de jumelles que j’ai d’ailleurs perdue depuis. Lors de cette séquence, les boches n’ont pas tiré un seul coup de feu.
A environ 400 m, en face de nous, sur le plateau, les boches avaient 2 mitrailleuses et une rangée d’hommes en tirailleurs comme la nôtre. Après avoir vu ou découvert ce qui était arrivé à leurs hommes dans la vallée, ils abandonnèrent leur position en face de nous. Encore du sport ! en repartant ils s’exposaient en traversant cette faible distance mais bien soit petite, nous étions 6 sur 60 ( ?). Mon sergent, mon éclaireur et moi-même étions les seuls, en raison du terrain, à pouvoir voir ce qui se passait.
Nous avons tenu la position cet après-midi-là, repoussant 2 contre-attaques et lorsque la dernière nuit vint, je la passais en combattant. «
Cette action dans la matinée du 27 septembre a fait de Montblainville le point de pénétration la plus profonde de la ligne américaine à l’ouest de l’Aire. La position de commandement a permis à la 110e de se battre contre une contre-attaque allemande l’après-midi qui a traversé la vallée de l’Aire au nord-est du village et cette nuit-là, les commandants supérieurs de la 28e Division se sont réunis à Montblainville pour évaluer l’état du poste. L’attaque contre Apremont a débuté le lendemain matin.
« Je n’eus pas la possibilité de dormir cette nuit-là car dès la nuit tombée, je sortis avec une patrouille pour localiser les boches que nous avions vus dans l’après-midi et également reconnaître le terrain. Les boches que nous avions blessés étaient là-bas et l’un d’entre eux d’une voix extrêmement puissante, hurlait « Jésus », ce qui nous mit les nerfs à vif. Nous ne pouvions pas les localiser avec précision mais toutefois lorsque nous nous sommes approchés d’eux, ils nous ont entendus et cessèrent leur tapage. Je n’allais pas conduire mes hommes dans ce qui pouvait se révéler être un de leurs pièges.
Je revins de cette patrouille et passais le reste de la nuit à faire des allers-retours entre le PC du bataillon et mon PC . »
Le 110e devrait traverser le reste du plateau de Montblainville, puis un autre ravin, livrer bataille sur le plateau d’Apremont et prendre la ville.
Harry Flinn, a mené ses hommes à travers le ravin du fossé de Vervaux en direction du chemin de la Torche et du plateau d’Apremont. C’est en remontant le ravin qu’Harry Flinn a été touché par une balle traçante enrobée de phosphore chaud qui permettait aux tireurs de voir la trajectoire de leurs balles. Lorsque la balle a transpercé son corps, elle a cautérisé la blessure minimisant ainsi la perte de sang et l’exposition aux infections. Il est resté 4 heures inconscient sur le champ de bataille avant d’être évacué.
» Le matin suivant , le 28 septembre 1918, nous avons traversé, et avons débusqué quelques-uns de leurs postes de mitrailleuses et avancé quelques kilomètres, quand j’ai été blessé. J’étais juste arrivé en haut d’une colline et avais franchi la crête, je me trouvais à 3 m devant mes troupes lorsqu’une balle de mitrailleuse m’a transpercé comme si j’étais une feuille de papier. Aucune douleur ni quoi que ce soit d’autre mais du sang en grande quantité. Je ne tombais pas immédiatement mais avançais de quelques pas, puis je tombais face contre terre « .
Au soir du 28, le Major qui commandait la 110e obtenait la Congregational Medal of Honor lors du combat pour la prise de la ville. Harry Flinn a survécut à sa blessure. Après près de 2 ans dans les hôpitaux en France et aux États-Unis, il est rentré chez lui. Il a retrouvé sa femme Marion et une nouvelle maison qu’elle avait achetée pour eux à Yonkers (New-York) au bout d’une ligne de trolley. En 1928 naissait leur premier fils suivi rapidement par une fille et un autre fils.
En 1965, à l’âge de 65 ans, il a prit sa retraite après avoir travaillé chez Américan Cork pendant 51 ans, principalement dans l’emballage de produits cosmétiques. En 2003 sa descendance se composait encore de 2 enfants, 11 petits-enfants et 16 arrière-petits-enfants.
Sources :
- Photos transmises par la famille Flinn – extraits de la lettre adressée par Harry Flinn à son épouse
- Les Américains en Meuse. 1914-1918
- l’historique de la 28ème division Américaine
Remerciements à Dominique Lacorde, Monique et Patrice Pérard pour leur aide et l’accueil de cette famille.
Félicitations pour ce bel article. Superbe journée passée avec la famille Flinn. Moments très émouvants qui nous replongent dans l’histoire du village. Nous recherchons tous documents sur la reconstruction du village après la guerre.
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